Campus & Métiers

Des chiffres et des doutes. "La Reproduction *" ou la mécanique d’un pouvoir académique. Universités : celles qui comptent… surtout pour Shanghaï !

Classement de Shanghaï


Jacqueline Sala
Samedi 16 Août 2025


Chaque mois d’août, le verdict tombe comme une sentence et les cartes du pouvoir académique mondial ne se redistribuent pas… elles se figent. Le classement de Shanghaï 2025, fidèle à lui-même, couronne Harvard, Stanford et le MIT, laissant à Cambridge la première marche européenne. Une hiérarchie presque immuable, qui tient autant de la célébration de la science que de l’éloge de la reproduction des élites. Puisque les critères n'évoluent pas, le résultat reste sans surprise.




Vous avez dit "excellence académique" ?

L’édition 2025, dévoilée le 15 août, confirme la domination sans partage des universités américaines, Harvard trônant en tête pour la vingt-deuxième année consécutive, suivie de Stanford et du MIT. Derrière ce trio, Cambridge conserve sa quatrième place, première européenne du palmarès, tandis qu’Oxford reste solidement installée au sixième rang.

Et la France dans tout cela ?

Pour la France, le bilan est contrasté : l’Université Paris-Saclay demeure le fleuron national, classée treizième mondiale et troisième européenne, malgré la perte d’une place par rapport à 2024. Trois autres établissements hexagonaux se maintiennent dans le Top 100 : Paris Sciences et Lettres (34ᵉ), Sorbonne Université (43ᵉ) et Université Paris Cité (60ᵉ).

Si la hiérarchie interne reste stable, deux nouveaux entrants – l’Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et l’Université de Picardie Jules-Verne – portent à vingt-sept le nombre total d’universités françaises présentes dans le Top 1000.

Des "critères" qui mériteraient d'être mis à jour pour un outil conçu en 2003 !

Ce palmarès, scruté par les décideurs de l’enseignement supérieur, repose sur six critères centrés sur la recherche : prix Nobel et médailles Fields, chercheurs les plus cités, publications dans Nature et Science, articles indexés dans les bases internationales et performance académique rapportée au nombre d’enseignants-chercheurs.

Une méthodologie qui, si elle confère au classement une aura de rigueur, alimente aussi les critiques, notamment pour sa faible prise en compte des sciences humaines et sociales.

Derrière cette façade de rigueur méthodologique, l’outil conçu en 2003 par l’université Jiao Tong agit comme un prisme idéologique : obsession pour les prix Nobel et médailles Fields, culte des publications dans Nature ou Science, sacralisation de la bibliométrie… tout converge pour sacrer les mastodontes anglo-saxons et reléguer les sciences humaines au rang de disciplines invisibles. L’anglais s’impose comme lingua franca et sésame statistique, offrant un avantage mécanique aux chercheurs anglo-saxons, quand le modèle français, éclaté entre institutions, se voit dilué dans les classements.

On recule pas, mais on n'avance pas non plus...

Dans un contexte de concurrence scientifique mondiale accrue, ces résultats traduisent à la fois la solidité des pôles français et les défis qui les attendent. Les regroupements d’établissements et les programmes d’excellence ont permis des percées spectaculaires au début des années 2020, mais la progression semble désormais marquer le pas.

Reste que, pour les universités françaises, figurer dans ce classement reste un levier stratégique de visibilité et d’attractivité sur la scène internationale, où chaque place gagnée ou perdue se lit comme un signal fort adressé aux chercheurs, aux étudiants et aux financeurs.

Cette mécanique entretient un double effet pervers : figer le paysage autour de quelques “grandes puissances” académiques et imposer un imaginaire de l’excellence centré sur la recherche dure, mesurable, immédiatement monnayable. Les universités qui brillent hors de ce spectre peinent à exister aux yeux d’un palmarès qui se veut universel mais agit comme un filtre culturel et géopolitique. Comme le souligne l’éditorial de L’Est Républicain, cette grille “favorise le patrimoine académique acquis plutôt que la dynamique actuelle” et accorde une prime disproportionnée aux publications anglophones.

Top 10 des meilleures universités françaises dans le classement de Shanghai 2025

Classement national / Université / Classement mondial

  1. Université Paris-Saclay (13ᵉ)
  2. Université PSL (34ᵉ)
  3. Sorbonne Université (43ᵉ)
  4. Université Paris Cité (60ᵉ)
  5. Université de Strasbourg (101–150)
  6. Aix-Marseille Université (151–200)
  7. Université Grenoble Alpes (151–200)
  8. Université de Montpellier (151–200)
  9. Institut Polytechnique de Paris (201–300)
  10. Université de Bordeaux (201–300)
     
Les effets “immédiats” se voient surtout sur la demande internationale et la visibilité numérique dans les 3–12 mois.
Les effets “réels” sur inscriptions, recettes et partenariats apparaissent plutôt sur 12–36 mois. Les impacts territoriaux (logement, emplois étudiants, laboratoires, implantations d’entreprises) sont plus diffus et fortement médiés par les politiques locales. Globalement, les effets existent, mais ils sont hétérogènes selon la discipline, le niveau d’études, la capacité d’absorption (logements, bourses, visas) et l’exploitation marketing du signal.

L'influence d'abord !

Ainsi, année après année, l’ARWU ne se contente pas de mesurer : il façonne, oriente et impose une vision du monde universitaire qui parle autant de puissance et d’influence que de savoir et de science.
Les États-Unis y demeurent archétypes de l’excellence, la Chine y trouve un levier d’affirmation, et le reste du monde, France comprise, négocie avec les règles du jeu plutôt que de les écrire.
Dans ce théâtre où les places se gagnent au prix fort, la mise en scène vaut autant que la performance.

A propos de la "Shanghai Ranking Consultancy"

Publié chaque été depuis 2003 par la Shanghai Ranking Consultancy, le classement de Shanghaï — ou ARWU — dresse la liste des 1 000 universités les plus performantes au monde sur la base de six critères liés à l’excellence de la recherche, comme le nombre de prix Nobel et de médailles Fields, les publications dans Nature et Science ou le volume de chercheurs les plus cités

A mes profs !! Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron

Dans La Reproduction, publié en 1970, Pierre Bourdieu et Jean‑Claude Passeron livrent une analyse implacable du rôle de l’école dans la perpétuation des inégalités sociales.

S’inscrivant dans la continuité de leur précédent ouvrage Les Héritiers, ils y développent la notion de « violence symbolique » : une domination subtile, exercée à travers le langage, la culture et les diplômes, qui finit par paraître légitime aux yeux même de ceux qui la subissent. Selon eux, le système éducatif, sous son vernis d’impartialité et de neutralité, agit comme une machine à reproduire l’ordre social établi, sélectionnant les élèves selon des critères qui avantagent structurellement les classes dominantes.

Ce faisant, elle masque les rapports de force derrière l’illusion du mérite individuel et de l’égalité des chances. L’ouvrage alterne analyses théoriques et observations concrètes, dessinant le portrait d’une institution dont le rôle dépasse l’instruction : elle est un rouage essentiel dans la conservation des hiérarchies sociales.